Georges Brassens Je suis un voyou

Ci-gît au fond de mon cœur
Une histoire ancienne,
Un fantôme, un souvenir
D’une que j’aimais
Le temps, à grands coups de faux,
Peut faire des siennes,
Mon bel amour dure encore,
Et c’est à jamais.

J’ai perdu la tramontane
En trouvant Margot,
Princesse vêtue de laine,
Déesse en sabots
Si les fleurs, le long des routes,
S’mettaient à marcher,
C’est à la Margot, sans doute,
Qu’elles feraient songer

J’lui ai dit: «De la Madone,
Tu es le portrait!»
Le Bon Dieu me le pardonne,
C’était un peu vrai
Qu’il me pardonne ou non,
D’ailleurs, je m’en fous,
J’ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.

La mignonne allait aux vêpres
Se mettre à genoux,
Alors j’ai mordu ses lèvres
Pour savoir leur goût...
Ell’ m’a dit, d’un ton sévère:
«Qu’est-ce que tu fais là?»
Mais elle m’a laissé faire,
Les filles, c’est comme ça.

J’lui ai dit: «Par la Madone,
Reste auprès de moi!»
Le Bon Dieu me le pardonne,
Mais chacun pour soi
Qu’il me pardonne ou non,
D’ailleurs, je m’en fous,
J’ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.

C’était une fille sage,
A bouche, que veux-tu?
J’ai croqué dans son corsage
Les fruits défendus
Elle m’a dit d’un ton sévère:
«Qu’est-ce que tu fais là?»
Mais elle m’a laissé faire,
Les filles, c’est comme ça.

Puis, j’ai déchiré sa robe,
Sans l’avoir voulu
Le Bon Dieu me le pardonne,
Je n’y tenais plus!
Qu’il me pardonne ou non,
D’ailleurs, je m’en fous,
J’ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.

J’ai perdu la tramontane
En perdant Margot,
Qui épousa, contre son âme,
Un triste bigot
Elle doit avoir à l’heure,
A l’heure qu’il est,
Deux ou trois marmots qui pleurent
Pour avoir leur lait

Et, moi, j’ai tété leur mère
Longtemps avant eux
Le Bon Dieu me le pardonne,
J’étais amoureux!
Qu’il me pardonne ou non,
D’ailleurs, je m’en fous,
J’ai déjà mon âme en peine:
Je suis un voyou.